Quand le corps parle : La psychothérapie corporelle à l’écoute de l’humain en profondeur

Un corps trop souvent oublié…

Dans notre monde occidental, le corps a longtemps été relégué au second plan de l’existence psychique. Réduit à sa fonction biologique ou instrumentalisé par des injonctions esthétiques, il est souvent nié, malmené, déconnecté de l’expérience sensible. Pourtant, le corps est mémoire, langage, lieu d’inscription du vécu. Il parle là où les mots échouent, il ressent là où l’esprit se coupe, il garde la trace des blessures là où la conscience les enfouit.

Albert Camus le disait avec acuité : « Le corps a une avance irréparable sur nous. » C’est sur ce constat que se sont fondées les approches psychothérapeutiques corporelles, notamment dans la lignée de Wilhelm Reich, pionnier d’une compréhension unifiée du corps et de la psyché.

Wilhelm Reich et la naissance d’une clinique vivante du corps

Dissident de Freud, Reich postule l’existence d’une énergie vitale (l’orgone), et observe comment les émotions refoulées s’inscrivent dans le corps sous forme de cuirasses musculaires. Ces tensions chroniques deviennent la matrice d’un caractère défensif, figé, bloquant la libre circulation de l’énergie vitale et des émotions.

La thérapie reichienne n’a donc pas pour but une simple catharsis émotionnelle, mais une libération consciente et progressive des cuirasses, une reconquête du corps vivant et vibrant. Son prolongement avec Alexander Lowen, fondateur de l’Analyse bioénergétique, accentue le travail sur la respiration, le mouvement expressif, la posture, l’enracinement. Le corps devient alors un théâtre de l’histoire affective du sujet, un lieu de transformation et de retour au vivant​​.

Le souffle, passerelle entre mondes visibles et invisibles

L’approche corporelle ne peut ignorer la respiration, cet acte vital si familier qu’on en oublie le pouvoir. La respiration holotropique, développée par Stanislav Grof, propose un accès à des états élargis de conscience à travers l’hyperventilation volontaire, souvent accompagnée de musique et de soutien corporel. Ce processus permet de retraverser des expériences biographiques, périnatales et transpersonnelles, offrant une intégration profonde des mémoires du corps et une libération émotionnelle puissante​.

Ces états non-ordinaires, loin d’être réservés à une élite mystique, révèlent à chacun la pulsion de vie sous-jacente, le potentiel de résilience, de transformation, de reliance à soi et à plus grand que soi.

Une clinique contemporaine du sensible

Aujourd’hui, la psychothérapie corporelle contemporaine s’appuie sur des apports multiples : la phénoménologie de Merleau-Ponty, la neurobiologie affective (Damasio, Porges), les théories de l’attachement (Winnicott, Stern), les symboliques corporelles (Gendlin, Johnson, Lakoff). Elle fait émerger un paradigme nouveau : le corps n’est pas un simple objet de soin, il est sujet de relation, partenaire de transformation, lieu d’élaboration du sens​​.

Le soi minimal (Gallagher, Santarpia) se construit dans l’expérience incarnée : sensation, action, émotion, interaction. La frontière corporelle, la capacité à dire “je”, à ressentir et à agir, est au cœur de l’accompagnement thérapeutique.

Ainsi, dans la clinique des traumas (anorexie, dissociation, borderline, psychoses…), les tensions musculaires, les troubles du tonus, les coupures sensorielles sont autant de portes d’entrée vers une reconnaissance de l’expérience subjective, vers une réconciliation entre l’image du corps et le ressenti corporel​​.

Le corps comme lieu de symbolisation

Ce que le langage ne peut dire, le corps le figure, le mime, l’exprime. Dans une séance, une crispation de la mâchoire peut parler d’une colère enfouie, un dos voûté d’une tristesse non exprimée, un souffle retenu d’une peur archaïque. L’objectif n’est pas seulement de relâcher ces tensions, mais de les traduire, les symboliser, leur redonner du sens. La métaphore corporelle devient un outil thérapeutique : « mon souffle est un mur »« ma poitrine est frigorifiée »

À travers le focusing, le mouvement spontané, la respiration guidée, le thérapeute accompagne le patient dans l’élaboration d’un langage sensoriel poétique et transformateur​.

Une éthique de la présence : tenir l’espace, incarner l’écoute

La spécificité de ces approches réside aussi dans la posture du thérapeute : une présence enracinée, sensible, non-jugeante, qui écoute avec tout son corps. Le cadre thérapeutique devient un contenant symbolique et physique où le patient peut se reposer, s’exprimer, oser l’émotion, s’abandonner sans danger.

Ce n’est pas une technique mécanique, mais une relation vivante, une rencontre d’humanité. Il ne s’agit pas de provoquer un changement, mais d’accompagner l’émergence d’un sens, d’un mouvement intérieur, d’un souffle retrouvé.

Conclusion : Le corps comme voie d’individuation

Dans un monde fragmenté, hypercognitif, en tension permanente, la psychothérapie corporelle nous rappelle une vérité essentielle : nous avons un corps. Mieux : nous sommes un corps.

Explorer ses tensions, rencontrer ses cuirasses, restaurer la respiration, libérer l’expression, écouter les métaphores du ressenti… tout cela participe à un processus d’individuation. À travers le corps, nous nous réapproprions notre histoire, notre puissance, notre vulnérabilité et notre dignité.

Et peut-être, sous les blocages, au cœur du souffle, quelque chose de plus grand que nous… la pulsation de la vie.

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